C’est un joli florilège d’entretiens riches de pensées et de confidences que nous propose Ali Ghanem dans «Conversations méditerranéennes» publié chez Casbah éditions, et la première impression qui surgit à la seule vue de la liste d’invités est «ce n’est pas du menu fretin».
Par Nadjib Stambouli
C’est une palette bigarrée de plus de quarante rencontres animées par un interviewer qui les pousse dans leurs derniers retranchements, par des questions originales, qui n’entrent pas dans le moule classique des entretiens. On est d’abord étonné par le choix éclectique des personnalités culturelles, mais aussi politiques et autres. Dans cet ouvrage à part, se livrent sans retenue (ou presque) des figures issues des deux rives de la Méditerranée aussi différentes que Ait Ahmed (qui ouvre le livre), Djameleddine Bencheikh, Rachid Boudjedra, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Omar Charif, Arezki Metref, Yamina Benguigui, Malek Chebel, Jacques Berque, Fatima Mernissi, Anissa Boumediene, Mohamed Harbi, Nordine Saadi, Germaine Tillon, Jean Lacouture et la liste est longue, qui expriment le caractère multicolore du choix établi par l’auteur. Par on ne sait quel stratagème, lié à son propre caractère iconoclaste, Ali Ghanem nous fait assister à chaque entretien comme si on était présent à la table. Les questions, bien sûr variables d’un invité à l’autre, sont imprégnées d’une forte charge d’humanité que l’on ne retrouve pas dans d’autres portraits de ces mêmes personnes, puisque le statut même de ces personnalités célèbres les cloisonne dans la rigidité et l’éloignement de toute vie sociale. Les présentations de chacune des figures, succinctes à souhait, permettent de placer le lecteur dans l’antichambre de telle personnalité et une indication, à la fin, sur la date, situe dans le temps le cadre de la rencontre. Sans verser dans le sensationnel, l’auteur attire l’interviewé vers la confidence, brisant ainsi la glace et surtout la carapace dans laquelle ces artistes et intellectuels (pour la plupart) ont été contraints par les médias ou le show-biz de se réfugier. On a des petites révélations par-ci (eh oui, Ait Ahmed a écrit des chansons), des coups de sang réfrénés par-là (du côté de Omar Charif) et partout, irriguant chaque réponse d’une forte dose de spontanéité, des pensées structurées dans lesquelles un regard attentif peut déceler un point commun, un lien transcendant les différences de préoccupations et de domaines. Ce point commun, qui revient en clair ou en filigrane des réponses, serait de n’avoir pas choisi sa vocation. Évidemment, on peut avoir ses petites préférences entre figures interviewées, mais on sort de chaque entretien édifié sur la personne publique mais aussi sur celle privée, voire intime, ce qui permet de la percevoir sous une grille nouvelle, différente, voire opposée à l’idée que l’on se faisait d’elle. Toutes les personnalités, sans exception, ont marché et joué le jeu, parce que Ali Ghanem, connu comme cinéaste et écrivain, les amène à se refléter en effet miroir de sa propre candeur et (apparente) naïveté, alors que l’on sent que chaque entretien, par-delà le côté vivant et spontané des questions, est soigneusement préparé. La dimension éclectique de l’ouvrage de plus de 400 pages, sans aucunement sacrifier à la rigueur quant à la qualité intellectuelle des interviewés, leur notoriété et leur apport à la culture algérienne en particulier et méditerranéenne en général, lui confère une dimension encore plus plaisante et agréable. La lecture de cette compilation est d’autant plus facile, jouissive même, que l’option de lecture peut se faire au cas par cas, selon l’humeur du moment qui porte l’intérêt vers telle ou telle personnalité. On aurait souhaité que l’œuvre soit confortée par des photos ou des illustrations d’une part et de l’autre que certaines (rares) interviews soit délestées de leur aspect trop lié à l’actualité, donc dépassé, mais d’autres observateurs trouveraient là un charme et un surcroît de repères. Mais ne chicanons pas trop sur des remarques de pure forme, face à un fond qui inscrit l’œuvre entière dans le gratifiant statut d’ouvrage majeur, témoin de son temps. Toutes les qualités que recèle «Conversations méditerranéennes» en font une pièce qui ne déparerait pas dans la plus exigeante des bibliothèques, tant elle contient de références et surtout de cette denrée propre aux excellentes œuvres qu’est le plaisir de lire.
«Conversations méditerranéennes» de Ali Ghanem, Casbah éditions, 413 pages,
prix : 1 300 DA
N. S.