Mardi dernier, deux décharges de drones se sont produites, l’une faisant écho à l’autre ; l’une s’étant abattue sur Kiev et l’autre sur Moscou. On a même cru au départ qu’elles se sont produites en même temps, que leurs projectiles se sont de ce fait croisés dans le ciel. En fait, il n’en fut rien : les deux attaques se sont suivies, la deuxième, celle qui a frappé Moscou ayant été une riposte à la première, celle qui a ciblé Kiev, sauf qu’elles ont en quelque sorte tenu à se déclencher à peu de distance l’une de l’autre, pour qu’il soit certain pour tous qu’elles appartiennent à la même séquence temporelle, qu’elles constituent ensemble un échange ne devant rien au hasard. C’est la première fois que Kiev répond à une attaque de Moscou, comme si les deux capitales étaient situées de part et d’autre de la ligne de front, et que l’une pouvait se voir à partir de l’autre. Jusque-là, l’une, le plus souvent Moscou, attaquait, puis l’autre contre-attaquait, mais après avoir pris pour cela tout son temps, si bien qu’on pouvait se demander si effectivement les deux attaques étaient liées. Les deux villes sont en réalité fort distantes l’une de l’autre.
Serait-ce que Moscou et Kiev soient désormais en prise directe, qu’ils se tirent dessus ? Bien que les dégâts aient été minimes, les drones ayant été interceptés par la défense aérienne, le président russe a réagi à chaud à l’attaque, ce que d’habitude il ne fait pas, et c’était pour faire une révélation. Cette attaque ukrainienne serait une réponse pervertie à une attaque russe qui elle était justifiée car ciblant un quartier relevant du renseignement militaire ukrainien, un centre de décision par conséquent. Ce n’est pas la première fois que Moscou est attaqué. Il l’a été une première fois, et au cœur, c’est-à-dire au Kremlin, le 3 mai dernier, sauf que le coup, déjà un drone, n’a pas porté, ayant été détruit auparavant. Désormais, avaient dit alors les plus hautes autorités russes, ce sont les centres de décision ukrainiens qui seraient visés. Il y eut même Dmitri Medvedev pour voir dans le président ukrainien une cible légitime ; mieux, une cible toute désignée, sinon toute prochaine. Après tout, Volodymyr Zelensky n’est que le premier des centres de décision ukrainiens. Aussi peut-on voir dans la réaction exceptionnelle de Vladimir Poutine l’annonce d’une nouvelle étape dans la guerre, d’une certaine façon d’ailleurs suggérée ou initiée par les Ukrainiens par leur attaque du Kremlin, où il ne s’agira plus seulement de prendre pour cible les centres de décision de l’ennemi, mais les personnes mêmes qui les dirigent, ou les incarnent. On a vu Poutine commenter la double attaque, on n’a pas vu Zelensky y aller de sa propre interprétation de l’événement. Se sent-il physiquement menacé ? Sans doute, d’autant qu’il a été directement condamné à la liquidation par Medvedev, tout de même le deuxième personnage du pouvoir russe. Tout cela en tout cas nous entraîne loin de ce qui a été l’objet de beaucoup d’intérêt pendant des mois : la contre-offensive ukrainienne, suivie ou non d’une réplique russe de même nature. En fort peu de temps, on est passé des grandes manœuvres en préparation, dans l’attente du choc sans rémission de deux armées en pleine possession de leurs moyens, ayant eu le temps de se refaire, aux tirs de grande précision, et aux envois de drones, tous coups portés de loin et en traître. A croire que la guerre a déjà dégénéré en guérilla.