Cela fait déjà près de vingt ans que Recep Tayyip Erdogan règne sur la Turquie et qu’il a, au fil du temps et à mesure que son pouvoir et son influence s’étendaient, pris soin de renforcer encore et toujours ses prérogatives et son emprise sur la nation d’Atatürk. Et alors qu’il est depuis sept ans le président aux pleins pouvoirs après un changement constitutionnel, il veut encore une fois modifier le texte fondateur de la Turquie moderne. En effet, le dirigeant islamiste s’est prononcé cette semaine en faveur d’une nouvelle Constitution, provoquant la surprise à deux ans d’élections qui s’annoncent compliquées pour lui. «Il est clair qu’à la source des problèmes de la Turquie se trouvent les Constitutions écrites par des putschistes depuis les années 1960 (…) Il est peut-être temps pour la Turquie de rouvrir le débat sur une nouvelle Constitution», a déclaré Erdogan. «Nous pourrions prendre des mesures en ce sens si nous trouvons un accord avec le parti ultranationaliste MHP, son allié», a ajouté Erdogan au cours d’une conférence de presse à l’issue d’un Conseil des ministres à Ankara. Tout projet de Constitution serait soumis à référendum, a-t-il affirmé. Erdogan a déjà procédé, en 2017, à une profonde révision de la Constitution actuelle, qui date de 1982 et a été rédigée dans la foulée d’un coup d’État militaire. Aux termes de cette refonte constitutionnelle validée par référendum, la Turquie est notamment passée d’un régime parlementaire à un système présidentiel ayant considérablement élargi les pouvoirs du chef de l’État. Ces dernières déclarations interviennent à un moment où nombre d’analystes et d’opposants lui prêtent l’intention de précipiter les prochaines élections, présidentielle et législatives, prévues pour 2023, ce qu’il dément. Aux élections présidentielle et législatives organisées en 2018, Erdogan a été confortablement réélu, mais son parti, l’AKP, n’a pu remporter la majorité absolue qui lui aurait permis de gouverner seul. Le chef de l’État dirige actuellement la Turquie dans le cadre d’une coalition informelle avec le chef du MHP, Devlet Bahçeli, autrefois l’un de ses plus féroces rivaux. Signe des dangers qui le guettent, Erdogan a essuyé en 2019 un spectaculaire revers électoral aux municipales en perdant Istanbul et Ankara, des villes que les islamo-conservateurs contrôlaient depuis un quart de siècle. Erdogan, âgé de 66 ans, pourrait en théorie, comme le lui permet la Constitution actuelle, rester jusqu’en 2028 à la tête de l’État. Reste à voir si les Turcs, qui se sont montrés particulièrement conciliants avec les excès d’Erdogan, seront prêts à lui donner les clés de la Constitution de leur pays, et permettre ainsi au président islamiste de transformer en profondeur une nation qui était durant des décennies citée en exemple pour sa modernité, il est vrai dans les grandes villes, et sa paix sociale.