Stephanie Williams, seulement la conseillère du secrétaire général de l’ONU en Libye, comme il est arrivé dernièrement à des Libyens de préciser sans trop s’embarrasser des formes, a rencontré tout récemment à Tripoli d’abord le tout nouveau Chef du gouvernement, Fathi Bashagha, puis Abdelhamid Dbeibah, en théorie son prédécesseur au poste, en réalité son rival, ou son doublon, ou son censeur, son état étant en effet devenu assez difficile à cerner. A l’issue de ces deux entretiens, la diplomate onusienne a publié un même communiqué mais en deux exemplaires, comme si les deux hommes se valaient à ses yeux, dans lequel elle engageait les Libyens à toujours préférer le consensus à la division, et qu’en dernier recours il n’y a que des élections pour mettre définitivement un terme à la crise que traverse leur pays. Les initiés auront néanmoins perçu que ce faisant elle n’a ni dénoncé le nouveau gouvernement comme illégitime, ou putschiste, selon le point de vue de Dbeibah et des quelques partisans qui lui restent, ni renouvelé de façon claire son soutien à celui-ci, comme elle avait eu l’occasion de le faire depuis, ou malgré, la présidentielle avortée du 24 décembre.
L’ONU qu’elle représente mais sans représenter pleinement, ainsi que les grandes puissances détenant une sorte de mandat collectif sur la Libye depuis la chute de Kadhafi, donnent déjà l’impression d’accepter un changement de gouvernement en Libye dans lequel elles n’ont été pour rien, mais de refuser par contre que le nouveau gouvernement puisse avoir un autre objectif essentiel que celui d’organiser des élections. Si Bashagha déclarait n’avoir d’autre mission à remplir que celle de faire tenir des élections dans les quelques mois qui viennent, en juin prochain par exemple, comme s’y engage pour sa part Dbeibah, ces puissances pourraient bien reporter en un éclair sur lui le soutien qu’elles apportaient jusque-là à ce dernier. C’est qu’il leur faut un peu de temps avant de comprendre que les deux gouvernements n’ayant pas le même agenda, pour des raisons qui tiennent aux conditions de leur formation, ne sont pas interchangeables. Le gouvernement Dbeibah est le produit de la dissension, de la division entre Libyens, donc de leur impuissance. Il n’aurait pas vu le jour si l’ONU et les puissances occidentales ne l’avaient pas porté sur les fronts baptismaux. Celui de Bashagha, dont du reste on ne connait encore que son chef, est l’enfant du consensus retrouvé. Il faut en effet qu’il le soit pour être adoubé à la fois par le Parlement de Tobrouk et le Haut Conseil d’Etat de Tripoli. Ainsi donc, la première fois que les Libyens se soient entendus sur quelque chose, il en a résulté un gouvernement soutenu par eux tous, par la classe politique, réunie dans les deux assemblées législatives, et par les groupes armés, du moins par les plus importants d’entre eux, celui de Misrata à l’ouest, et à l’est l’Armée nationale libyenne répondant aux ordres de Khalifa Hafter. Fondé sur un consensus d’autant plus précieux et fragile qu’il est le premier à s’être forgé depuis plus d’une décennie, ce gouvernement a nécessairement pour objectif premier de le fortifier, nullement d’organiser des élections dont personne ensuite ne voudra accepter les résultats si elles lui sont défavorables. Avant lui, c’était la charrue avant les bœufs. Avec lui, c’est la charrue devant les bœufs.