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mardi 28 novembre 2023

Conflit de compétences

Il existe en Tunisie une sorte de propension à présenter l’impasse politique actuelle comme un conflit de compétences opposant les trois hommes se trouvant à la tête des principales institutions du pays. Les protagonistes de ce bras de fer sont donc le président de la République Kaïs Saïed, l’occupant du perchoir à l’Assemblée, Rached Ghannouchi, position qu’il doit au fait qu’il est le président d’Ennahda, principale force politique de Tunisie, sans être pour autant majoritaire, et enfin le chef du gouvernement Hichem Mechichi. On se rappelle ce qui a conduit à cette situation : Mechichi ayant procédé à un large remaniement de son gouvernement sans en référer au chef de l’Etat s’est vu vigoureusement critiqué par ce dernier lors d’une réunion mémorable tenue au palais de Carthage, et par la même occasion avertir que quatre des nouveaux ministres, en raison de certains soupçons pesant sur eux, ne seront pas invités à prêter serment devant lui. Un chef de gouvernement normalement constitué qui serait pris à partie dans ce style par le chef de l’Etat, auquel de plus il doit d’être là où il se trouve, n’aurait rien de plus pressé à faire que de s’attaquer aux motifs de son mécontentement. En effet, qu’est-ce qui importerait le plus pour lui : faire du président un adversaire ou s’atteler dans les meilleurs délais à la mise en œuvre de son programme, quitte pour cela à remplacer les quatre ministres indésirables à tort ou à
raison ?

La logique voudrait qu’il fasse le premier choix. Ce n’est pas celui que fera Mechichi. Il pouvait faire simple, il a préféré faire compliqué. Il pouvait désamorcer la crise, en tout cas au moment où il était encore possible de l’éviter, il s’est arrangé pour qu’elle éclate et commence aussitôt à développer ses nuisances. Et maintenant que faire pour en sortir ? La question se pose avec d’autant plus d’acuité que Mechichi, conseillé sans doute en cela par Ghannouchi, semble s’être coupé, comme à plaisir, toute retraite. Il ne peut décemment évincer des ministres qui viennent de recevoir la confiance des représentants du peuple. Il ne peut démissionner lui-même sans enterrer du même coup sa carrière politique. Il ne peut pas non plus ne rien faire sous prétexte que lui et le pays sont dans l’impasse. Il existe bien une solution, qui ne sauvera pas son gouvernement, ni sans doute sa carrière, mais du moins permettra-t-elle à la Tunisie de se reprendre, avant que le désordre ne commence à se saisir d’elle. Si en effet la crise actuelle est une querelle de compétences, alors il faut trouver le moyen de les départager sous ce rapport. Tous les pouvoirs, tous les honneurs, venant du peuple, on se demandera qui des trois jouit de la prépondérance, celle-ci s’appréciant sur la part de souveraineté populaire reçue en partage. Sur cette base, le cas de Mechichi est vite réglé, vu qu’il dispose de zéro suffrage populaire, n’ayant pas été élu mais nommé. S’il y a un problème de prééminence entre les deux autres présidents, celui de la République et celui de l’ARP, le premier estimant disposer de plus de prérogatives d’après sa propre lecture de la Constitution, et le deuxième le contestant, les départager ne semble pas très compliqué non plus. Alors que Ghannouchi a été élu dans une des 27 circonscriptions que compte la Tunisie, et encore pas même suivant un mode électoral uninominal majoritaire mais de liste et proportionnel, le président Saïed l’a été dans le cadre d’une seule circonscription, la Tunisie dans son ensemble, et à un scrutin majoritaire direct uninominal. Si la souveraineté populaire se divise en autant de parts qu’il y a d’électeurs, la proportion d’elle qui est allée à Saïed dépasse largement celle revenue, qui plus est indirectement, à Ghannouchi. La Constitution tunisienne ne reposant pas sur une base saine est en effet à refaire.

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