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jeudi 18 avril 2024

Cinéma / «Larbi Ben Mhidi» de Bachir Derrais: La passion libératrice dans un film passionnant

Dans son film «Larbi Ben Mhidi», le réalisateur Bachir Derrais a réussi la prouesse de ne pas succomber à la tentation qui guette tout créateur se proposant de restituer la vie d’un héros, qui est de l’extirper de son environnement social et de la dynamique collective.

Par Nadjib Stambouli

Par intuition artistique et par conviction patriotique, le cinéaste a ainsi donné corps et vie à la devise révolutionnaire, inscrite sur les murs et ancrée dans la mémoire algérienne, «un seul héros le peuple». Le film a ainsi cheminé avec tact entre exaltation des indéniables qualités humaines, intellectuelles, politiques, en somme celles d’un visionnaire, de Ben Mhidi, et son osmose avec son milieu social qui le nourrit et qu’il nourrit à son tour de sa force argumentaire, de son charisme et de son caractère de meneur d’hommes. On voit dès son enfance, à travers des réactions spontanées contre l’injustice coloniale, s’esquisser les prémices du futur dirigeant de la lutte anticoloniale que deviendra cet enfant sensible et intelligent, issu d’une famille de la classe moyenne en qui se forgeront jalon après jalon la conscience et les éléments de nécessité de la libération du pays en passant par la lutte armée. Cette concentration politique dans le même être, et c’est ce qu’a réussi à rendre avec doigté Derrais, n’en font pas pour autant une personne désincarnée, dépourvue de sentiments ou d’habitudes d’un jeune de son âge. Ben Mhidi amoureux, pratiquant du théâtre ou encore très attaché à son frère, qu’il essaiera même de convaincre de ne pas rejoindre le maquis, non pour le préserver du sacrifice suprême, mais pour garder le futur Algérien instruit pour bâtir l’Algérie libre, sont autant de points qui injectent de l’humanité dans l’itinéraire de cet homme d’exception, d’un courage à la limite de la témérité. Dans ce film historique irrigué de la dimension romancée sans laquelle le cinéma ferait piètre figure devant un travail académique dont le socle scientifique repose sur l’extrême fidélité aux faits et à eux seuls, on assiste au déroulé des signes avant-coureurs de la révolution anticoloniale, puis aux faits marquants de celle-ci, notamment la préparation du congrès de la Soummam, les rapports avec les dirigeants au Caire, ou encore le débats sur la primauté du politique ou les relations avec «l’extérieur». Derrais nous replonge dans un climat de discussions entre responsables révolutionnaires, climat qui était loin d’être un «long fleuve tranquille», avec des échanges souvent houleux, où interviennent le fougueux puis le sage, l’impatient puis celui qui voit plus loin que ce que dicte la pulsion de «l’ici maintenant». Il est normal que Zighout le soldat et qui s’assume comme tel, ne soit pas sur la même longueur d’onde qu’un Abane ou un Bentobal mais l’intérêt suprême, celui de la libération du pays, s’autoconvoque pour aplanir les contradictions avant qu’elles ne dégénèrent en sources de conflit et c’est là la force d’une Révolution libératrice à nulle autre pareille. Derrais innove, par rapport aux (parfois excellents) films déjà tournés sur la Révolution, en conférant la place qui lui est due à la dimension politique et non seulement à l’aspect guerrier de la lutte de Libération nationale. C’est là justement un signe que notre cinéma, soixante après l’indépendance, s’émancipe des images lisses, sans relief ni aspérité qui ont prévalu jusque-là, comme si l’unité de pensée et d’action étaient des données immanentes et n’émanaient pas de la confluence unitaire après d’âpres débats sur des idées et des positions d’abord divergentes entre les dirigeants de la révolution armée. Le film est saupoudré, sur un rythme soutenu qui augure d’un succès populaire certain, de scènes de reconstitution d’une remarquable authenticité, tant dans le décor et les costumes que dans les accessoires. La direction d’acteurs, avec un casting judicieux qui privilégie la justesse d’interprétation sur le vedettariat, tant dans les rôles principaux que dans les seconds rôles, est de haute qualité, misant à chaque réplique, chaque expression corporelle, plus sur l’austérité que sur le jeu prétendument naturel qui s’avère affecté et surfait. Une harmonieuse unité plane tout au long du film, de telle sorte qu’aucun rôle ne dépasse l’autre ni ne l’écrase, tant et si bien qu’on ne peut octroyer la palme du meilleur (ou de la meilleure) interprète, si ce n’est pour la décerner au collectif. En somme, «Larbi Ben Mhidi» est un film qui donne la juste mesure entre l’action et la réflexion qui irriguent le scénario, écrit par le cinéaste Abdelkrim Bahloul sur un texte de Mourad Bourboune. Cet équilibrage en fait une œuvre marquante, malheureusement bloquée à ce jour par le ministère des Moudjahidine qui en est pourtant coproducteur, aux côtés du ministère de la Culture et la société de Derrais, ainsi que des sponsors publics et privés. Sevrer le public de cinéphiles de la projection d’un film d’une telle qualité nous semble s’écarter de toute logique ou rationalité. «La libération» de ce film devrait interpeller la sagesse et la perspicacité du décideur et transcender le bras de fer qui s’inscrit dans la durée et qui profite à tous sauf à l’intérêt du cinéma algérien.
A voir le succès potentiel du film «Larbi Ben Mhidi» ainsi que sa valeur culturelle, tant dans le fonds historique que dans la forme esthétique, au lieu de bloquer sa programmation en salles, le ministère devrait plutôt être fier d’en être coproducteur et arborer cette œuvre au fronton de sa noble vocation, qui est l’écriture de l’Histoire et la préservation de la Mémoire des héros de la libération.

N. S.

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