Déjà avant la guerre en Ukraine, les Russes, les Iraniens et les Turcs ne professaient pas un grand respect envers les Etats européens, dans lesquels ils voyaient des colonies américaines, bien qu’ils nourrissent des griefs différents à leur égard ; ils se saisissaient de toute occasion qui s’offrait à eux pour le leur signifier. Mais maintenant qu’il y a la guerre en Ukraine, et qu’elle ne peut pas être perdue par les Russes, une des parties prenantes au processus d’Astana, lancé en 2017 au plus fort de la guerre en Syrie, dans le but de régler leurs désaccords à son sujet, c’est à peine s’ils cachent le mépris qu’ils leur inspirent, encore que ce soit à des degrés divers. Ce n’est peut-être pas le fait du hasard s’ils se sont rencontrés hier à Téhéran, peu de jours après la tournée de Joe Biden au Moyen-Orient, qui elle aussi vient à l’heure ukrainienne, même s’il est probable que les questions de politique interne, dominées par les élections de mi-mandat, aient été pour quelque chose.
Ce qui à l’origine était un simple cadre de concertation dans le contexte d’une guerre précise, à laquelle ils se sont trouvés mêlés chacun à leur façon, semble vouloir se transformer en une organisation politique régionale permanente, comme il en existe ailleurs dans le monde. Cette éventualité aura tendance à se renforcer, ou au contraire à s’affaiblir, au vu du communiqué final de cette réunion. Si au bout du compte il n’y est question que de la Syrie, où la Turquie s’apprête à lancer contre l’avis des deux autres une opération militaire dirigée contre les groupes kurdes, alors preuve sera faite que le processus d’Astana, ou ce qu’on appelle ainsi, n’a pas vocation à s’étendre à d’autres questions internationales d’intérêt commun. Dans ce cas de figure, la réunion d’hier ne serait que la continuation de celles qui avaient précédé et qui elles portaient uniquement sur la crise syrienne, où d’ailleurs leurs intérêts divergeaient. Nous parlions du mépris désormais affiché de ces trois pays pour les Etats européens vassaux des Etats-Unis. Mais des trois, celui de la Turquie est le plus affirmé, même si celui des deux autres est manifeste lui aussi. Pour l’heure, ce sont la Suède et la Finlande qui en font les frais, provoqué par leur grande peur de subir le même sort que l’Ukraine, laquelle les a fait se jeter dans les bras de l’Otan. Si la Turquie ne méprisait pas leurs dirigeants, elle ne leur demanderait pas de lui livrer les opposants politiques se trouvant sur leurs sols ; et encore, à titre de premières mesures montrant leur bonne disposition à collaborer avec elle dans sa «lutte contre le terrorisme kurde». Il faut aussi que ces deux pays lèvent les restrictions en matière de vente d’armes mises en place à son encontre, mesures prises en soutien du terrorisme, estime-t-elle. Une fois que ces dirigeants se seront pliés à ces exigences, ils n’en seront pas quittes pour autant, d’autres leur seront signifiés, encore plus dures, plus humiliantes à satisfaire. Ainsi celle leur faisant obligation le cas échéant d’envoyer des forces aux côtés de celles des Turcs dans leur lutte contre les Kurdes du PKK, ou de toute autre organisation kurde non turque. Par peur d’une attaque russe, qui au regard des Turcs est imaginaire, pour eux la Russie n’entretenant en fait aucune intention de ce genre, la Suède et la Finlande, la première tout particulièrement, sont en train de commettre une sorte de suicide, de se faire hara-kiri, de tuer l’idée qu’on s’est fait d’elles, leur bien inestimable. Une fois qu’elles auront livré leurs protégés kurdes, ou turcs, c’en sera fini du respect qu’on leur porte en général et qu’elles doivent à leur bon bilan en matière de droits de l’homme. Il n’y aura pas alors que les Turcs, les Iraniens et les Russes pour mépriser leurs classes politiques.