Jusqu’à présent, la seule chose que la communauté internationale – c’est-à-dire, pour parler sans détour, les puissances occidentales responsables de la chute du régime Kadhafi en 2011 – ait réussie en Libye, c’est à y faire taire les armes. Ce qui n’est pas rien, force est de le reconnaître. Le fait est que depuis qu’elles se sont tues, en octobre 2020, les armes n’ont plus reparlé, si l’on excepte les rares explosions de violence, vite circonscrites, mettant aux prises des groupes rivaux à l’intérieur des deux camps en présence. Le plus souvent à Tripoli d’ailleurs, où il n’est pas toujours facile de faire régner la concorde entre des milices d’obédiences et même de provenances différentes. En comparaison, Le camp de Tobrouk a fait preuve d’une discipline sans défaut. Cela tient évidemment à ce que le monopole des armes, sinon celui de la violence légitime, est y détenu par une seule force, celle du maréchal Khalifa Hafter, laquelle s’est appelée l’Armée nationale libyenne, ce qui n’est pas le cas à Tripoli. Cet avantage risque d’être décisif dans la suite des événements, même si Hafter a déjà lancé, mais en vain, ses forces sur Tripoli.
Pendant une année, la communauté internationale n’a rien fait pour l’arrêter ; elle n’a même pas voulu le condamner, dans l’idée que s’il parvient à ses fins, la Libye en sortira réunifiée, justement le but qu’elle-même recherche. Mais Hafter ayant échoué, la Turquie s’en étant mêlée, il a bien fallu se rabattre sur les élections à l’effet de reconstituer un Etat détruit, directement par la France et la Grande-Bretagne, et indirectement par les autres grandes puissances. Ce processus électoral devait commencer par une présidentielle, prévue pour le 24 décembre dernier, qui finalement n’a pas eu lieu. Il arrive qu’une élection soit reportée, mais alors on sait pourquoi elle l’a été, soit parce qu’un cas de force majeure, une guerre par exemple, est advenue contre toute attente, soit parce qu’une difficulté technique a surgi, ou qu’une contestation est survenue chez l’une ou l’autre des parties concernées. En Libye, l’élection a été annulée parce qu’aucune faction n’était disposée à en accepter les résultats, si par hasard ils lui étaient contraires. C’est-à-dire qu’il n’existait aucune base contraignante, consensuelle, sur laquelle elle pouvait reposer. Dans ces conditions, c’était, pour peu qu’on y pense, une chance que la présidentielle n’ait pas eu lieu. Tous ceux qui l’auraient perdue auraient crié à la fraude, tout en appelant leur camp à se défendre contre le pouvoir illégitime qu’on cherche à leur imposer. Le 24 décembre, c’eût été celui du scrutin, et le 25 ou le 26, celui de la reprise des hostilités, à l’arrêt depuis octobre 2020. D’une certaine façon, donc, c’est une chance que cette élection ait foiré. Seulement, ce n’est pas ainsi que l’entendent la communauté internationale, ni la mission onusienne pour la Libye, ni Stephanie Williams, la conseillère spéciale du secrétaire général de l’ONU, ni l’ambassadeur américain à Tripoli, ni aucun des pays ayant voix au chapitre dans les affaires libyennes, qui tous ont fait part de leur déception, mais aussi de leur mécontentement, que l’élection ait échoué, à leurs yeux du reste de façon inexplicable, sinon peut-être par la mauvaise volonté libyenne. Tous ces intervenants font maintenant pression pour qu’elle se fasse le plus rapidement possible. Ils ont formulé l’espoir qu’elle se tienne dès ce mois de janvier. Mais il leur faut déchanter à nouveau, les Libyens ne montrant décidément aucune disposition à se rattraper.