La manifestation à l’appel de plusieurs partis tunisiens, pour dénoncer le décret présidentiel de portée constitutionnelle rendu public par Kaïs Saïed, il y a moins d’une semaine, n’a pas, comme il fallait s’y attendre, inondé l’avenue Bourguiba, encore qu’elle ait été la plus nombreuse depuis le 25 juillet, début de l’état d’exception. Les estimations les plus généreuses ont fait état de 3 à 4 milles manifestants. Il en faudrait beaucoup plus pour faire reculer un président convaincu, non sans raison, d’avoir le soutien de la majorité des Tunisiens. Les protestataires se sont agglutinés sur les marches du théâtre communal de Tunis, évidemment dans une imitation des hirakistes algérois qui le vendredi convergeaient vers la Grande Poste pour se rendre maître de ses abords. Mais si la Grande Poste est un symbole d’Alger, de sorte que prendre d’assaut son escalier était en soi gratifiant, il n’en est pas de même du théâtre communal de Tunis, un bâtiment d’intérêt local, toutefois le seul dans les parages à offrir des marches et quelque hauteur à investir.
Cela dit, les détracteurs de Saïed peuvent toujours se consoler en pensant que ce n’est là qu’un début, et que même en Algérie, la foule n’avait pas été imposante dès sa première sortie des mosquées, mais dans les suivantes. Peut-être, même si cela reste improbable. Le parallèle avec les grandes manifestations en Algérie n’est pas pertinent. Les situations dans les deux pays ne sont pas comparables. Saïed n’est pas malade, contrairement à Bouteflika. Le jour des manifestations en Algérie était le vendredi. Ce n’est pas là juste un détail. La mobilisation de Tunis s’est tenue un dimanche. Deuxième grande différence. L’opposition tunisienne aurait-elle pu manifester un vendredi ? Sûrement pas. Son action aurait été empêchée. Ennahdha ne pourrait appeler à une manifestation pour le vendredi sans que cela se retourne contre elle. Elle ne peut ignorer que c’est son existence qui est en jeu, bien plus que le mandat de Saïed. Elle se sait menacée du sort des Frères musulmans égyptiens et jordaniens. Un faux pas de sa part, et c’en est fini d’elle. S’il y a une comparaison à faire, ce n’est pas avec l’Algérie qu’il faut l’établir, mais avec le Maroc, ou plus exactement avec la défaite des islamistes marocains aux dernières législatives. Ils étaient au gouvernement avant cette échéance, au faîte de leur gloire en quelque sorte, et puis du jour au lendemain, ils se sont affaissés, pour se retrouver par terre. On ne connait pas d’exemple d’une chute aussi impressionnante. C’est par là qu’il faut chercher le secret de ce qui se passe actuellement en Tunisie. Le glas n’y sonne pas tant pour le régime pseudo parlementaire, en vigueur depuis 2014, que pour Ennahdha, la dernière des formations islamistes influentes dans le monde arabe. Le président Saïed n’a pas que le soutien de ses électeurs, mais également celui des Etats de la région. Aussi ne peut-il pas perdre. La prochaine mobilisation contre lui, s’il y en a une, risque pour cette raison de fond d’être inférieure à celle du 26 septembre. Son immobilisme seul est en mesure de renverser le rapport de force, pour l’heure nettement en sa faveur. Or il n’est pas inactif, comme en atteste le décret à vocation constitutionnelle qu’il vient de prendre. La prochaine étape, c’est la formation d’un gouvernement de transition, selon toute probabilité une tâche en voie d’achèvement.