Comment faut-il prendre la décision française d’ouvrir avec quinze ans d’avance, comme a particulièrement tenu à souligner la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot, l’accès aux archives de police et de gendarmerie pendant la guerre d’Algérie ? Evidemment, ainsi d’ailleurs que le font les historiens algériens, du moins pour ceux qui se sont exprimés sur le sujet, avec de la méfiance et des pincettes de la longueur minimale d’un bras. On ne saurait en effet trop se garantir contre un «cadeau mémoriel» de cette nature, que de surcroît nous autres Algériens ne réclamions pas. Pour que ce genre de documents soit mis à la disposition des chercheurs, il faut que leurs contenus nous réservent quelques mauvaises surprises. Des surprises dont l’effet peut-être se perdrait s’il fallait encore attendre quinze autres années avant d’en faire profiter le public algérien. Cette décision d’ouvrir un certain genre d’archives relatives à la guerre d’Algérie, mais pas un autre, venant après les déclarations rapportées par le journal «Le Monde», où le président français avait accusé le pouvoir algérien à la fois d’entretenir une «rente mémorielle» et de raconter à son peuple une histoire falsifiée de la guerre d’Algérie, ne peut avoir pour but que d’aider à faire connaître cette histoire dans sa vérité… française. Que peuvent donc contenir ces archives sinon, et au pire, des aveux extorqués sous la torture ?
Quel historien ajouterait foi à des documents établis par des tortionnaires, s’il s’en trouve mettant en cause l’honneur de combattants algériens ? S’il en existe néanmoins, c’est qu’il est d’extrême droite. Les autorités algériennes demandaient avec insistance à ce qu’on leur indique les lieux où sont enterrés les déchets radioactifs des essais nucléaires effectués par l’armée française dans le Sahara. La réponse française a été pour dire que ce genre d’archives était encore couvert par le secret-défense. C’est ce refus de la France qui est la véritable cause de la détérioration des relations entre les deux pays. Les déclarations d’Emmanuel Macron ont été la goutte qui a fait déborder le vase algérien, pas plus. Si la demande concernant les déchets nucléaires avait été satisfaite, ces déclarations, pour déplaisantes qu’elles soient, n’auraient pas conduit à elles seules les Algériens à rappeler leur ambassadeur et à fermer leur espace aérien aux avions français opérant dans le Sahel. On sait que le ministre français des Affaires étrangères a demandé dernièrement aux Algériens, lors d’une visite à Alger, de revenir sur cette décision, de permettre aux avions français de traverser à nouveau l’espace aérien algérien. On ignore quelle a été la réponse des autorités algériennes. Mais si pour les autorités françaises l’ouverture des archives judiciaires est de leur part un gage de bonne volonté, peut-être même une concession de poids appelant une contrepartie immédiate, du côté algérien ce ne peut être que quelque chose de suspect, au demeurant très éloigné de leur faire oublier ce qu’ils réclament avec force : qu’on leur montre les emplacements exacts des déchets nucléaires. Les seules archives qui les intéressent, ce sont celles qui ont une utilité pratique, salutaire même, et dans le présent. Celles qui ne sont pas destinées à être consultées par des historiens, mais par des spécialistes en traitement de matières hautement toxiques. Tant que la France n’aura pas compris que c’est à cette demande qu’elle devra répondre en premier, elle n’aura rien fait pour améliorer ses relations avec l’Algérie.