Il était question hier principalement de ce qui rattachait les «fuites du Pentagone», comme il semble qu’on tend à les appeler dans les médias américains, à celles qui avaient précédé, et qui, a-t-on précisé, étaient inspirées par les premières du genre, «The Pentagone Papers», œuvre du premier lanceur d’alerte américain, Daniel Ellsberg, intervenue au début des années 1970 pendant la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, l’accent sera mis sur ce qui les en distingue, un thème qui d’ailleurs a fait son apparition dans les médias américains. Il faut dire que la différence qu’il y a entre les fuites récentes et les anciennes saute aux yeux. Alors que ces dernières avaient révélé des secrets ayant trait à des événements appartenant au passé, les premières quant à elles concernent des événements en cours de développement, qui comme tels font partie du présent.
Une bonne partie des documents ayant trait à la guerre en Ukraine, et comportant des renseignements sensibles en particulier sur le dispositif militaire ukrainien, dont des indications précises sur la contre-offensive en préparation, il a fallu abandonner les plans déjà arrêtés, et s’atteler à l’élaboration de nouveaux, qui eux ne devraient pas être connus des Russes. Notons au passage que ces mêmes Ukrainiens qui ont commencé par dire que ces fuites sont sans intérêt, qu’elles sont un simple enfumage des Russes, les prennent en réalité avec le plus grand sérieux. Leur grosse crainte maintenant, ce n’est même plus que les Russes soient au courant de leurs intentions, ainsi que des forces réunies pour les concrétiser, mais qu’ils en viennent, si les fuites se poursuivent, à connaître aussi celles qui sont en cours de concertation avec leurs alliés. Tant que la ou les sources des fuites actuelles, pas seulement donc des dernières fuites, n’est pas trouvée et neutralisée, il y a possibilité que les Russes prennent connaissance des dispositifs à venir. Or les enquêteurs américains, à pied d’œuvre depuis que leur attention a été attirée sur le fait que des documents secrets du Pentagone circulaient sur Internet, de surcroît dans des espaces et pour un public dont les centres d’intérêt sont clairement ailleurs, n’ont toujours rien trouvé. Quant aux officiels américains, ils semblent pour l’heure occupés surtout à calmer les inquiétudes de leurs alliés, dont nombre de documents leur sont consacrés, qui leur révèlent une fois de plus les soins que met l’ami américain à les tenir sous étroite surveillance, avant de regagner leur confiance, d’autant que certaines révélations touchent à des sujets d’une brûlante actualité. Ainsi par exemple du voyage prochain du président sud-coréen aux Etats-Unis, auquel une fuite a appris que les Américains écoutaient ses conversations avec ses collaborateurs, pour savoir si en effet il allait tenir ses engagements de livraison de munitions à Kiev, ou si son intention n’était pas plutôt de les ignorer. «The Pentagon Papers» n’avaient pas été inutiles, puisqu’ils avaient contribué à hâter la fin de la guerre du Vietnam. «The Pentagone Leaks», s’ils devaient se poursuivre, pourraient empêcher la contre-offensive ukrainienne prévue pour ce printemps, ou alors la retarderaient, peut-être de beaucoup, pour autant qu’ils ne la fassent pas annuler. Dans cette hypothèse, il y aurait en effet quelque chose de plus urgent à faire : les faire cesser, ce qui suppose trouver leur source pour la tarir complètement.