Le plus récent effet sur le plan international de la guerre en Ukraine s’est produit il y a à peine deux jours, à Tokyo, lors du tour asiatique du président américain Joe Biden. Celui-ci, en réponse à une question de journaliste se rapportant à la possible invasion de Taiwan par la Chine continentale, a déclaré tout net que dans ce cas les Etats-Unis défendraient militairement Taiwan. Jusque-là les dirigeants américains s’étaient gardés de dire qu’ils entreraient en guerre contre la Chine si celle-ci décidait d’annexer par la force Taiwan, qu’elle-même considère depuis toujours comme l’une de ses provinces. N’était la guerre en Ukraine, Biden aurait probablement répondu comme ses prédécesseurs sur ce thème, c’est-à-dire par la bande, selon la doctrine en quelque sorte officielle dite de l’ambiguïté stratégique, consistant en fait à mettre en garde la Chine contre une telle entreprise mais en y mettant les formes, d’autant que les Etats-Unis ne reconnaissent pas l’indépendance de Taiwan, même s’ils entretiennent avec elle toutes sortes de relations d’Etat à Etat.
Voilà un pas de franchi de la part sinon des Etats-Unis du moins de son président, personnellement assez disposé à laisser libre cours à ses véritables sentiments, quitte ensuite à faire semblant de les désavouer. Toujours est-il que sa déclaration était à peine faite que la Maison-Blanche se fendait déjà d’un communiqué disant que la politique américaine chinoise n’avait pas changé. Par quoi il fallait entendre qu’elle restait partisane de la politique d’une seule Chine. La réalité, c’est qu’il n’y a jamais eu la moindre ambiguïté dans la politique américaine s’agissant de la dualité chinoise. Les Etats-Unis n’ont jamais porté dans leur cœur la République Populaire de Chine, et aujourd’hui encore moins que dans le passé. La guerre en Ukraine a achevé de dégrader les relations entre les deux pays, toutefois à la seule initiative des Etats-Unis, qui n’ont guère apprécié que Pékin n’ait pas eu un mot de condamnation à l’égard de la Russie pour son action en Ukraine. Au début de ce que les Russes ne considèrent toujours pas comme une guerre au vrai sens du terme mais seulement comme une opération militaire spéciale en Ukraine, les Etats-Unis menaçaient des pires mesures de rétorsion la Chine dans le cas où elle ne respecterait pas les sanctions prises contre la Russie. Il faut dire qu’à ce moment les Occidentaux dans leur ensemble, pas seulement donc les Etats-Unis, étaient convaincus de pouvoir isoler si totalement la Russie qu’elle n’aurait d’autre choix que de se retirer d’Ukraine pour sauver son économie d’un effondrement certain. Comme rien de tel n’est advenu, et que la position de la Chine n’évoluait pas, les Etats-Unis en sont venus à craindre le pire de sa part, c’est-à-dire qu’elle profite de ce qu’ils soient occupés en Ukraine pour chercher à annexer Taiwan. Bien sûr, cette crainte, ils l’ont eue dès le premier jour de l’invasion russe. Elle est toutefois allée s’apaisant en rapport avec le cours de la guerre en Ukraine, laquelle d’après les Américains et leurs alliés était en train d’être perdue par la Russie. Une franche défaite de cette dernière, ou même seulement son enlisement, aurait pour effet, estimaient-ils, de faire réfléchir à deux fois la Chine avant de rien entreprendre de semblable contre Taiwan. Mais comme maintenant qu’à nouveau la guerre semble gagnable par la Russie, les craintes américaines que cela n’encourage la Chine à passer à l’action sans plus attendre s’en trouvent naturellement revigorées. De là la mise en garde directe de Biden oublieuse de la soi-disant ambiguïté stratégique.