Décidément la présidentielle américaine de novembre 2024 n’est pas comme les autres. Pour qui en doutait encore, peut-être ne manquait-il pour s’en convaincre que de voir cette personne puissante qu’est un président des Etats-Unis se rendre en personne à un piquet de grève, soucieuse d’apporter son soutien aux travailleurs qui l’ont dressé, et qui dans ce cas précis s’y tiennent depuis maintenant deux semaines. Voilà qui est fait. On a vu Joe Biden, mardi 23 septembre, dans l’habit austère du militant, ou du moine, muni d’un haut-parleur et haranguant les «camarades» depuis une estrade montée on dirait exprès pour lui, une image qui sans doute restera. Des candidats en campagne se hasardant dans ce genre de déplacements, il s’en est trouvé et il s’en trouvera, mais pour qu’un président en fonction fasse la même chose, il faut qu’il soit particulièrement sûr de sa démarche. De fait, à Détroit, dans le Michigan, et parmi les travailleurs du puissant syndicat unifié du secteur de l’automobile, Joe Biden était en terrain ami ; on pourrait aussi bien dire chez lui. Les applaudissements ne lui ont pas manqué.
Il faut dire que son discours n’était pas fait pour obtenir l’effet contraire, tant il était en phase avec les principales revendications des grévistes : augmentation des salaires de 40% et amélioration des conditions de travail. Son rival républicain dans la course à la présidentielle, Donald Trump, après avoir laissé penser qu’il se rendrait lui aussi sur le même foyer des luttes, s’est finalement contenté d’une visite dans une usine de Détroit, du même secteur d’activité certes, mais dont les travailleurs ne sont pas affiliés au même syndicat combatif. Il y a surtout tenu un discours aux antipodes de celui de Biden, avertissant les grévistes que c’est travailler à la perte de leur activité que de continuer d’inscrire leurs demandes dans la conversion en cours à l’automobile électrique. Pour lui, poursuivre cette transformation, c’est aller droit vers la mort de cette industrie aux Etats-Unis, car au bout du chemin elle se serait délocalisée en entier en Chine. Hors du pétrole, point de salut pour l’automobile américaine. Un discours qui à vrai dire ne tient pas la route, mais qui est étudié pour plaire à la fraction climato-sceptique non négligeable de l’opinion américaine. On se demande toutefois si Trump l’aurait tenu dans les mêmes termes s’il avait été sûr d’être aussi bien reçu que Biden dans l’un ou l’autre bastion de l’UAW (United Auto Workers). Le Michigan est l’Etat où se concentre le meilleur de l’industrie en question. Il a été remporté par Trump en 2016, avant d’être perdu par lui en 2020. C’est un des Etats swing, c’est-à-dire changeants, qui décident de l’élection présidentielle, les autres, plus d’une quarantaine, étant acquis durablement soit aux démocrates soit aux républicains. Si la grève organisée par l’UAW se déroulait ailleurs que dans le Michigan aurait-elle attirée dans son périmètre Biden et Trump ? On peut en douter. On n’aurait probablement pas vu un président en fonction se grimer en gréviste, ni son compétiteur s’occuper à le contredire en tout. Il n’empêche, Biden aurait quand même soutenu la grève, d’une part parce que telle est sa conviction, et de l’autre parce qu’il aurait voulu qu’un puissant syndicat proche de lui se déclare en sa faveur. En définitive l’UAW n’appelle pas formellement à voter pour lui, mais l’accueil qu’il lui a réservé en dit long sur sa préférence.