L’ONU, ou plus exactement la Manul, sa mission spéciale en Libye, a tout essayé, ou presque, pour faire tenir dans ce pays particulièrement divisé des élections générales, dans lesquelles elle voit depuis le début la seule issue possible à sa crise, consécutive à l’agression de l’Otan en 2011 contre le régime de Kadhafi. Cette crise dure depuis maintenant une décennie. Elle pourrait se prolonger pendant d’autres longues années, peut-être même une deuxième décennie, sinon davantage. En fait, plus elle se prolonge, plus elle s’installe dans le temps, et plus elle tendra à devenir l’état normal en Libye. Impossible bien sûr de savoir par avance à partir de quel nombre d’années d’existence, la division politique et territoriale actuelle en deux entités politiques, disposant chacune d’un certain nombre d’attributs propre à un Etat, sera irréversible. Reste que le temps ne joue pas en faveur de la réunification, mais de l’éclatement définitif de la Libye, probablement en deux Etats, possiblement en plusieurs.
Quand il s’agit d’en finir avec une «dictature arabe» en crise, et qui se trouve pour son malheur isolée sur la scène internationale, les Occidentaux ne lanternent pas. En deux temps trois mouvements son compte est réglé, le terrassement est terminé. Mais quand après cela vient le temps de la reconstruction, ils ne se montrent guère pressés, ils prennent tout leur temps, ils font preuve d’une patience inépuisable. Il se peut même qu’ils s’en désintéressent au bout d’un certain temps, à plus forte raison si leur attention est attirée ailleurs, sur des problèmes internes, ou sur une crise internationale les touchant de beaucoup plus près. Déjà qu’avant la guerre en Ukraine, la crise en Libye n’a pas été leur priorité. Maintenant que la guerre est à leurs frontières, et qu’elle menace de les déborder, la Libye peut attendre. Sans doute celle-ci se rappelle-t-elle de temps en temps à leur souvenir, toujours par suite d’un accès de violence, survenant le plus souvent dans Tripoli, mais comme les factions libyennes savent d’elles-mêmes jusqu’où ne pas aller sur ce terrain, l’alerte est en général de courte durée. Les puissances occidentales ayant fait tomber Kadhafi trouvent quand même le temps d’émettre un communiqué commun dans lequel elles mettent en garde les Libyens contre la tentation de s’en remettre à nouveau aux armes pour régler leurs différends. Puis le train-train reprend ses droits : les rencontres bilatérales à l’étranger, à l’initiative de la Manul, ou d’un pays voisin, les sorties médiatiques de l’une ou l’autre personnalité libyenne, des affrontements dans Tripoli ne prêtant pas vraiment à conséquence, etc. Le désintérêt de la communauté internationale pour la Libye, pas seulement donc des Occidentaux responsables au premier chef de sa situation actuelle, est tel qu’on ne voit toujours pas le bout du tunnel. Le secrétaire général de l’ONU n’a toujours pas réussi à faire approuver par le Conseil de sécurité la nomination d’un envoyé spécial de son choix, un poste vacant depuis un certain temps déjà. Sa dernière tentative en ce sens n’a pas abouti, le représentant émirati au Conseil de sécurité s’étant, semble-t-il, opposé à la désignation de l’ex-ministre algérien des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, on ne sait trop sous quel prétexte précisément, encore que cette proposition ait de prime abord peu de chance d’être appuyée par toutes les parties concernées, libyennes et non libyennes.