Le temps est décidément passé où la Turquie se faisait à la fois un plaisir et un devoir de contrarier en tout l’Egypte, ainsi qu’en témoigne son désir exprimé dernièrement de rétablir leurs relations diplomatiques rompues en 2013, suite à la chute de Mohamed Morsi, le premier, et probablement le dernier, président égyptien issu de la mouvance islamiste. Tour à tour cette semaine, son ministre des Affaires étrangères, puis son président, Recep Tayyip Erdogan, ont adopté en parlant de l’Egypte un langage empreint d’humilité dont on ne les aurait pas cru capables sur la foi de celui dont ils nous avaient habitués depuis maintenant plusieurs années sur le même sujet. C’est ainsi qu’ils ont tous deux regretté que leurs efforts pour renouer avec l’Egypte n’aient donné lieu jusqu’à présent qu’à des rencontres à un bas niveau. Une façon on ne peut plus claire de dire qu’ils sont impatients de voir se tenir un sommet, dont le premier effet serait de normaliser les relations entre leurs deux pays. Sans doute savait-on qu’un jour ou l’autre l’Egypte et la Turquie, deux Etats importants sur la rive sud de la Méditerranée, finiraient par normaliser leurs relations, quand bien même elles conserveraient ce faisant l’essentiel de leurs différends, leurs intérêts communs ne leur laissant en effet guère le choix à cet égard.
Ce qu’on ignorait en revanche, c’est quand ce rapprochement surviendrait et surtout qui des deux serait amené pour cela à faire le premier pas. Avec les déclarations des deux responsables turcs, c’est plus qu’une ouverture qui vient d’être faite à l’endroit de l’Egypte, plus qu’une proposition de réconciliation à l’initiative du plus sage ou du plus adulte des deux, mais une prière, un appel à la bonté et au pardon de l’autre. Pour en arriver là, les Turcs ont dû se réviser très largement à la baisse, après avoir mesuré tout le tort qu’ils s’étaient fait en s’immisçant dans les affaires intérieures de l’Egypte, en se posant notamment en recours pour ses islamistes chassés du pouvoir et persécutés. Certes, ils ne se sont pas encore allés jusqu’à battre leur coulpe publiquement en vue de hâter leur rachat, mais on les sent d’ores et déjà pas très éloignés de s’y résoudre. Ils n’aspirent pour l’heure qu’à une seule chose en tout cas, c’est à bénéficier de la même indulgence que les Qataris, qui ont été pardonnés, réintégrés dans leur environnement naturel, sans avoir eu à le demander à genoux. Ils n’ont pas fait plus ou pire qu’eux après tout. Les Qataris eux non plus n’ont pas eu de mots assez durs pour critiquer le renversement de Morsi, suscitant par là la colère à la fois du Caire et de Riyad. Eux aussi ont dit pis que pendre de l’Egypte et de son système politique. Et pourtant ils ont été pardonnés ; leurs ambassades autorisées à rouvrir. Entre musulmans, on doit toujours pouvoir compter sur l’oubli des insultes proférées dans un moment d’égarement. Sans doute les Turcs se gardent-ils encore de tenir ne serait-ce que la moitié de ce discours. Mais c’est qu’ils savent ne pas avoir à se rabaisser à ce point. Il leur suffirait de faire ce que l’Egypte et l’Arabie saoudite attendent d’eux pour leur ouvrir à nouveaux les bras : prier les islamistes égyptiens réfugiés chez eux de se transporter ailleurs. Du point de vue de l’Egypte, ce geste vaudrait mille palinodies, mille reconnaissances des manquements à son égard. D’ailleurs tant qu’Ankara n’a rien fait en ce sens, elle repoussera toutes ses avances. Elle fera la sourde oreille à sa demande de normalisation, aussi insistante et humble qu’elle puisse être.