A en croire les principaux médias occidentaux qui s’agissant de la guerre en Ukraine ont complètement tombé le masque, se comportant à l’unisson comme un seul véritable appareil de propagande, la rencontre des deux chefs de renseignement américain et russe à Ankara, la semaine dernière, avait été organisée dans le seul but de permettre au chef de la CIA de mettre en garde son homologue russe du danger qu’il y a pour son pays de recourir en désespoir de cause à l’arme nucléaire. L’affirmation que la Russie est en train de perdre la guerre contre beaucoup plus faible qu’elle est chez eux une sorte d’article de foi, qu’il leur faut sans cesse réitérer, avec d’autant plus d’assurance que les réalités du terrain ont tendance à s’y inscrire en faux. En fait, rien n’a filtré de ce que les deux responsables russe et américain se sont dit, ce qui n’est pas pour étonner compte tenu de la nature de leurs fonctions. On peut juste supposer qu’ils se sont parlé, dans l’idée qu’il valait mieux cela que laisser la tension monter entre eux, et conduire au pire ce faisant. Américains et Russes sont d’ailleurs coutumiers du fait. En Syrie, où ils se font face depuis plus d’une décennie, ils se sont opposés sur tout sans jamais en venir à se tirer directement dessus. Ce qui est tout de même un exploit.
La coordination qu’ils ont su mettre en place en Syrie a cependant manqué en Ukraine, probablement parce que l’Ukraine est aux portes de la Russie, à la différence de la Syrie. Or se parler ne peut se faire sans qu’il soit question de surmonter la crise en raison de laquelle l’échange a cessé. A l’appui de cela, le lieu même de la rencontre : Ankara, la capitale du seul pays qui non seulement continue de parler aux deux belligérants directs, Ukraine et Russie, mais qui parvient de temps en temps à les amener à composition. Ce fut notamment le cas par deux fois s’agissant de l’exportation de leurs céréales, une première fois en leur faisant signer un accord à ce sujet, une deuxième en prolongeant la durée de vie de cet accord, de surcroît à un moment où il semblait sur le point de voler en éclats. Si un cessez-le-feu survient à un horizon plus rapproché qu’on ne serait porté à le croire, la Turquie y sera probablement pour quelque chose. Bien que membre de l’Otan, elle n’a pris aucune sanction contre la Russie, et elle n’a pas envoyé d’armes à l’Ukraine. De façon générale, on peut dire que son attitude dans cette guerre en Europe a été dans l’ensemble plus en faveur de la Russie que de l’Ukraine. Pourtant celle-ci a continué de dialoguer avec elle, ne doutant pas de sa neutralité, semblant même l’appréciser. Dernièrement, suite à l’attentat d’Istanbul, les autorités turques ont repoussé les condoléances américaines, arguant du soutien en Syrie de Washington à des organisations qualifiées par elles de terroristes, un geste pour le moins inamical. On
n’imagine pas des dirigeants européens s’amuser à un jeu de cette nature. Mal leur en prendrait d’ailleurs. Washington a encaissé le coup tout en déplorant l’injustice qu’il constituait à son égard. Il n’y a pas que cela qui fasse de la Turquie un membre de l’Otan tout à fait à part. Il y a sa réticence marquée, toujours à pied d’œuvre, à voir la Suède et la Finlande rejoindre l’Otan. Ces deux-là n’en ont pas fini de subir en silence d’elle avanie sur avanie, de s’humilier devant elle dans l’espoir qu’elle leur permette d’entrer dans un lieu où pourtant le véritable maître leur a déjà souhaité la bienvenue.