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samedi 1 avril 2023

Ambiguïté stratégique

Pour tout dialogue entre les Etats-Unis et la Russie, mardi dernier par vidéoconférence, nul doute qu’il n’y a eu, à mots à peine couverts, qu’échanges de menaces, et cela pendant plus de deux heures dit-on, mais sans qu’aucun des deux présidents ait pu se faire au bout du compte une idée plus claire des intentions immédiates de l’autre. Et pour cause, les deux pratiquent l’ambiguïté, et qui en l’espèce consiste à laisser l’autre dans le doute sur la réaction qu’il recevra s’il met ses menaces à exécution. Si ne pas donner à son ennemi, ou sinon à un ennemi en acte, du moins à quelqu’un qui n’attend que l’occasion de le devenir, une information capitale, c’est faire dans la stratégie, et pas n’importe laquelle par-dessus le marché, alors on peut dire qu’il n’y a rien de plus banal que cette stratégie-là. Pourtant, celle dont il est question présentement est réputée pour être américaine, bien plus en tout cas que russe ou chinoise. Il y a la dissuasion nucléaire, qui elle aussi est une stratégie, et il y a celle dont nous parlons. Il ne faut pas les confondre, même si elles vont de pair. Un pays qui n’a pas les moyens de recourir à la première ne peut pas mettre en œuvre la deuxième.

Quand on dispose de l’arme de dissuasion, et qu’on opte pour ne jamais dire à celui dont on se sent menacé qu’on ne s’en servira jamais contre lui, alors on fait aussi dans l’ambiguïté stratégique. La dissuasion joue dans les deux sens. Pas l’ambiguïté, qui elle est à sens unique. Les Etats-Unis en usent à la fois contre la Russie et la Chine, qui elles ne s’en servent pas contre eux. Le fait que les Russes concentrent une armée d’invasion sur leurs frontières avec l’Ukraine n’a rien d’ambigu. Le fait que les Chinois aient l’intention d’annexer Taïwan, non plus. On ne connait pas l’heure à laquelle cela se fera, c’est tout. Mais que cela finisse par se produire, voilà qui en revanche ne fait aucun doute. Dans cette double affaire, l’ambiguïté est du seul côté des Etats-Unis. De tous les derniers présidents, Joe Biden est celui à qui cette arme semble convenir le plus. Ni Barack Obama ni Donald Trump ne semblent faits pour elle. Biden est à l’aise dans son maniement. Au Moyen-Orient le seul à prétendre l’avoir dans son arsenal, c’est Israël, mais d’une façon qui ne dupe personne. A qui d’aventure lui demandait s’il détenait l’arme nucléaire, il ne répondrait pas. Mais comme tout le monde sait qu’il en dispose et en quantités plus que suffisantes, il ne vient à
l’idée de lui poser cette question. En revanche, les Russes et les Chinois ne savent vraiment pas ce que feront les Etats-Unis si eux-mêmes attaquent, les premiers l’Ukraine, les seconds Taïwan. Les Américains défendront-ils l’Ukraine et Taïwan, au risque d’entrer en guerre avec la Chine et la Russie, deux superpuissances militaires, séparément ou simultanément ? Personne ne le sait au jour d’aujourd’hui. C’est exactement cela l’ambiguïté stratégique. On ne sait pas. On ne peut le savoir que si on prend d’abord le risque d’attaquer. Lors de leur dernière vidéoconférence, Américains et Russes se sont séparés sans que ces derniers en sachent plus long sur les intentions des premiers. De même que les Chinois avant eux.

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