Cela fait déjà plusieurs fois en quelques mois que la Turquie est épinglée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le régime turc, qui se distingue depuis plusieurs années maintenant par ses méthodes de gouvernance dure, continue de susciter l’ire des démocrates. Ankara a ainsi été condamnée cette semaine par la CEDH pour avoir emprisonné deux juges qui avaient libéré en 2015 des personnes suspectées d’appartenir à un groupe jugé terroriste par le gouvernement. La juridiction européenne a conclu à la violation de l’article 5.1 (droit à la liberté et à la sûreté) et a condamné Ankara à verser à chacun des juges 5 000 euros au titre du préjudice moral, indique-t-elle dans un communiqué. Les requérants, Mustafa Baser et Metin Özcelik, exerçaient au moment des faits dans des juridictions pénales à Istanbul. En 2015, ils avaient participé à la décision de libérer le patron d’un groupe de presse, Hidayet Karaca, ainsi qu’une soixantaine de policiers arrêtés fin 2014 pour avoir, selon la justice, comploté contre le président turc. Ils étaient tous suspectés d’appartenir à «l’Organisation terroriste Fethullahiste/Structure d’État parallèle», indique la CEDH. Les deux juges furent à leur tour soupçonnés d’appartenir à cette mouvance du prédicateur Fethullah Gülen, installé aux États-Unis et considéré par le président Recep Tayyip Erdogan comme l’instigateur de la tentative de coup d’État de juillet 2016. Autrefois allié précieux de Recep Erdogan, Fethullah Gülen a par la suite été accusé par les autorités turques d’avoir répandu les soupçons de corruption qui ont visé le gouvernement en décembre 2013, quand Recep Erdogan était encore Premier ministre. Arrêtés en 2015, les deux juges furent condamnés en 2017 à 10 ans de prison pour «appartenance à une organisation terroriste» et «abus de pouvoir», rappelle la Cour dans son communiqué. Dans sa décision, qui ne concerne que leur détention provisoire, la CEDH a notamment pointé «l’illégalité» de cette détention et «l’absence de raisons plausibles (…) de les soupçonner d’avoir commis une infraction». La tentative de coup d’État dont aurait été victime Erdogan en 2016 aura ainsi été une aubaine pour lui, lui permettant de se débarrasser de tous ses opposants politiques et de restreindre au possible la liberté d’expression dans le pays. Il en a notamment profiter pour éradiquer toute trace de Fethullah Gülen, une personnalité respectée en Turquie, qui pouvait alors se mettre sur le chemin du président turc et de sa prise absolue du pouvoir. Son mouvement, fort de ressources estimées à 50 milliards de dollars, se compose de centaines d’établissements scolaires et de médias parmi les plus importants du pays, lui permettant de posséder une influence considérable. Fethullah Gülen a été décrit dans des médias anglophones comme «l’une des personnalités musulmanes les plus importantes au monde». Mais Erdogan en a fait en 2017 un apatride. Reste à voir jusqu’où ira la guerre menée par le président turc contre tous ceux qui menacent sa position et quelles mesures prendront les Européens pour contrer les dépassements d’Erdogan, alors même qu’il rêve toujours de faire de son pays une nation membre de l’Union européenne.