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jeudi 18 avril 2024

Abdelmadjid Chareddib, entrepreneur et président de la CGEA Constantine: «L’Etat doit revoir sa politique de logement»

Avec plusieurs milliers de logements à son actif, le Groupe Chareddib figure parmi les principaux constructeurs de la région de Constantine. Créée à la fin des années 90 par Abdelmadjid Chareddib, la petite entreprise a pu se développer grâce, notamment, aux multiples programmes publics et à la promotion immobilière. La crise économique et la pandémie de Covid-19 ont, cependant, conduit le Groupe à s’adapter à une nouvelle conjoncture.

Par Mehdi Mourad

Lorsque Abdelmadjid Chareddib lance sa petite société de construction, il ne savait pas qu’il allait écrire une belle page de l’histoire de l’entrepreneuriat de la région de Constantine. Ingénieur de formation, il a fait un passage dans l’administration d’une entreprise publique mais a fini par démissionner. «C’était en 1998, la situation économique était complexe mais j’étais à l’étroit dans mon poste. J’ai très vite compris que je devais me lancer à mon compte. Les débuts étaient compliqués, mais je me suis accroché», explique-t-il avec une pointe de nostalgie. En 2000, Abdelmadjid est rejoint par son frère Toufik, licencié en sciences financières.
La petite entreprise commence à remporter ses premiers projets à Constantine. Les frères Chareddib font du travail de qualité et, exigence absolue, respectent les délais. «Nous avons ensuite commencé à soumissionner pour des projets dans les autres wilayas de l’est du pays». Annaba, Guelma, Skikda… la petite société avance doucement mais sûrement. «Après quelques années, nous avons réussi à obtenir la qualification professionnelle de niveau 6, ce qui nous a permis de réaliser des universités, des établissements scolaires, des logements et tous types d’équipements publics».

Locomotive économique
L’embellie financière provoquée par la hausse du prix du pétrole et la décision des autorités de l’époque d’engager de vastes programmes de logement et de construction d’infrastructures publiques vont booster les entreprises locales. Le Groupe Chareddib a su profiter de cette opportunité. En plus du logement social et du logement social participatif, il se lance dans la promotion immobilière. «Il faut savoir que l’ensemble des entreprises a débuté dans le promotionnel à travers les programmes de logement social participatif (LSP). Notre groupe a lui aussi commencé par le LSP en 2003 avec 30 logements. Puis nous avons construit des cités de 136 logements, 200 logements, 400 logements pour nous engager sur des projets plus importants comme des cités de plus 1 000 logements. En 2004, nous étions parmi les premiers opérateurs à proposer des offres immobilières au grand public dans la région de Constantine. Nous avons réalisé un nombre important de logements dans la région, que ce soit dans le promotionnel libre que dans le promotionnel soutenu par l’Etat : LSP et LPA». La petite société qui avait débuté en 1998 avec quelques manœuvres compte aujourd’hui un effectif de plus de 350 employés activant dans la branche BTPH. La maîtrise de la technique de construction par coffrage tunnel permet au Groupe Chareddib de réaliser 6 logements par jour. Il est considéré comme une locomotive pour bon nombre d’artisans et de PME locales. «Nous travaillons avec plus de quarante sous-traitants qui font intervenir plusieurs centaines d’employés. A titre d’exemple, un chantier à Bekira de 400 logements sociaux compte plus de 200 emplois indirects», souligne Abdelmadjid Chareddib. Au total, le Groupe fait intervenir près de 1 000 employés, de façon directe et indirecte.
Mais en Algérie, le secteur du BTPH est confronté à différents problèmes dont l’un des plus importants est certainement la question de la main-d’œuvre. «Au début des années 2000, cette problématique ne se posait pas car les entreprises privées ont réussi à récupérer les ingénieurs et les ouvriers qui travaillaient dans les grands groupes publics de construction. Nous avions la chance d’avoir une main-d’œuvre qualifiée. Mais cette génération a fini par partir à la retraite et malheureusement il n’y avait pas de relève. Les jeunes diplômés des centres de formation professionnelle, avec lesquels nous avons signé des conventions, restent juste quelques mois et finissent par jeter l’éponge. Il faut reconnaître que c’est un métier très dur, été comme hiver, qui nécessite patience et abnégation. C’est cette situation qui nous a obligé à recourir à la main-d’œuvre étrangère», indique l’entrepreneur. Le Groupe Chareddib a donc opté pour une main-d’œuvre qualifiée en provenance d’Inde. «Nous avons recruté une centaine d’expatriés indiens afin de nous permettre de respecter nos engagements en matière de qualité et de délais de réalisation. Ces travailleurs sont recrutés à travers des procédures officielles du ministère du Travail. Pour cela notre direction des ressources humaines passe par des agences de recrutement spécialisées en Inde. Il faut reconnaître que l’épidémie de Covid-19 a ralenti le processus de transfert du personnel indien. Mais les équipes qui sont actuellement sur chantier travaillent à un bon rythme. Notre objectif étant de pouvoir parachever tous nos projets dans les délais», insiste-t-il. Le Groupe est conscient que le recours à la main-d’œuvre étrangère n’est pas une solution sur le long terme et s’est donc engagé dans un programme de formation de ses propres équipes locales. «Nous avons formé un première équipe d’Algériens aux techniques du système du coffrage tunnel et je dois dire que les résultats sont très encourageants», relève le P-dg du Groupe.

Double crise
Dès 2014, la chute du prix du pétrole a des répercussions directes sur le secteur du BTPH qui dépend essentiellement de la commande publique.
«Les inscriptions des projets ont baissé. Le fait que la commande publique soit limitée a provoqué une forme de concurrence entre les entrepreneurs. Cette situation nous a conduit à revoir notre stratégie de développement en nous engageant vers la réalisation de logements promotionnels. La crise dans le BTPH est très complexe. Comme nous le savons tous, ce secteur est le premier à subir les effets d’une crise et le dernier à s’en sortir. L’impact, nous avons commencé à le ressentir dès 2016 avec la dévaluation du dinar. La situation s’est aggravée dès le début du Hirak et la pandémie de Covid-19 nous a donné l’estocade puisque nous sommes arrivés à zéro dinar de recette. Durant la première vague, nous avons été obligés d’arrêter la quasi-totalité des chantiers. Mais nous avions décidé de parachever les projets que nous devions livrer en urgence, notamment des logements et certaines infrastructures publiques. Tout ceci s’est fait dans le strict respect des mesures sanitaires. Mais cette période a été terrible, car pour la première fois dans l’histoire de notre jeune Groupe, nous avons été obligés de licencier du personnel. Une compréhension qui a touché 5 % de notre effectif», regrette le président du Groupe Chareddib. Pour tenter de se maintenir, les frères Chareddib décident d’orienter leurs activités vers le logement promotionnel libre. «Pour cette formule, nous avons lancé plus de 3 500 appartements de différentes catégories. Actuellement, nous avons un projet ambitieux qui consiste à réaliser 680 appartements standing à proximité de la plage Larbi Ben M’hidi à Skikda. Cette promotion comprend toutes les commodités et nous avons même prévu des piscines privatives pour certains duplex. Nous avons également lancé le projet de La Médina à Constantine qui est un complexe de 2 700 logements standing répartis en cinq tranches». Mais l’inadéquation des textes en matière de développement du logement promotionnel a fait que l’Etat, qui était le principal animateur du secteur de la construction, a fini par devenir un concurrent qui menace l’existence de nombreux opérateurs. «Il y a avant tout cette concurrence de l’Etat à travers les différents programmes, notamment au sein de la Nouvelle ville de Constantine : social, AADL, LPA, ENPI voire même le logement rural. Cette réalité nous a obligé à aligner nos offres sur certaines formules, comme celle de l’ENPI qui tourne autour de 100 000 DA le mètre carré. A mon avis, l’Etat doit revoir sa politique de logement. La mission des pouvoirs publics consiste à réguler le marché et à mettre en place des mécanismes en matière d’urbanisme et de qualité du bâti. Le secteur de la construction nécessite la prise de décisions urgentes en matière d’attribution d’assiettes de terrain, de respect des règles d’urbanisme et de renouvellement du cadre législatif. L’Etat a la possibilité de renforcer les capacités des entreprises algériennes de construction en prenant des mesures simples. Il faut libérer le marché de la construction, permettre aux opérateurs d’acquérir des assiettes de terrain et inciter les banques à les soutenir, autant eux que les futurs acquéreurs», dit-il. Selon lui, il est aujourd’hui nécessaire que les autorités tissent des relations de partenariat avec les opérateurs du secteur de la construction.

Réorganisation
«Notre secteur peut jouer le rôle de locomotive de l’économie. Le bâtiment fait travailler tous les corps de métiers et d’industrie. Il est important de mettre en adéquation la taille des programmes de logements avec la capacité de réalisation nationale.

Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons assurer aux entreprises locales la réalisation des différentes formules de logement sans pour autant faire appel aux entreprises étrangères. L’objectif étant de faire des économies de devises. Il ne faut pas oublier qu’à la base, les compagnies étrangères devaient intervenir en appoint et elles devaient également former la main-d’œuvre algérienne. Mais ces objectifs n’ont pas été atteints et elles ont fini par devenir des concurrentes aux entreprises algériennes. A titre d’exemple, lorsque l’Algérie subissait de graves pénuries de ciment, les groupes turcs et chinois étaient livrés en priorité. Je ne suis pas contre l’ouverture du marché algérien, mais il est important que l’Etat définisse des règles claires en matière de concurrence et d’accès aux projets». Pour Abdelmadjid Chareddib, cette réorientation permettra l’émergence de grands groupes nationaux qui auront la capacité de prendre des parts de marché à l’international. «Nous devons pouvoir aller vers les pays africains et arabes où il existe beaucoup d’opportunités. Pour construire, nous avons le savoir-faire, le reste n’est qu’une question de main-d’œuvre et d’équipements qu’il est possible de gérer localement. Mais là encore il faut reconnaître que le contexte économique et administratif n’encourage pas les entreprises de BTPH à s’exporter. Nous n’avons pas de filiales de banques à l’étranger et il est encore compliqué de transférer des fonds. L’Etat n’a pas mis en place de mécanismes pour accompagner les opérateurs nationaux à l’étranger. Les Turcs, les Chinois ou encore les Egyptiens ont cette tradition de l’export, leurs entreprises sont soutenues par leurs autorités».
Abdelmadjid Chareddib est pleinement conscient de la nécessité de défendre et de soutenir les entreprises algériennes, tous secteurs confondus. D’où son engagement au sein de la Confédération générale des entreprises algérienne (CGEA). Au mois d’avril dernier, il a participé activement à l’installation du bureau de wilaya de cette organisation patronale. Au terme de l’assemblée générale constitutive, il a été nommé président du bureau de Constantine. «Avec un groupe d’opérateurs économiques de la wilaya, nous avons décidé de rejoindre la Confédération après avoir suivi les interventions de Madame Neghza et son engagement dans la défense de l’entreprise algérienne. Le fait que nous partageons avec elle la même vision et les mêmes valeurs nous a encouragé à créer cette section CGEA de Constantine. L’assemblée générale élective s’est déroulée le 15 avril 2021 en présence de 48 chefs d’entreprise et j’ai donc été élu à cette occasion. Nous comptons rassembler un grand nombre d’entreprises locales au sein de notre section afin d’être unis pour devenir une véritable force de proposition. Nous avons l’ambition de prendre des initiatives afin de créer de la richesse et des emplois et d’être ainsi des partenaires des pouvoirs publics», conclut l’entrepreneur. Fort de sa filiale construction et de sa filiale promotion immobilière, le Groupe Chareddib s’est engagé dans une stratégie de diversification de ses activités. C’est dans cette optique qu’il a créé sa filiale Panorama Food.
M. M.

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