Au bout de quatre mois de guerre en Ukraine, chacun a pu le constater, il n’est plus question en Occident, au niveau des officiels comme des officieux, c’est-à-dire des médias, d’une possible victoire de Kiev sur Moscou. Si l’Alliance atlantique, qui à son sommet de Madrid s’est théoriquement renforcée de la Suède et de la Finlande, car la menace turque de s’opposer à leur intégration définitive persiste malgré tout, s’est convaincue que la défaite stratégique de la Russie était à portée de la main, elle en est maintenant revenue, réduisant son but de guerre à l’enlisement de cette dernière, très clairement taxée à Madrid d’ennemi principal. Puisqu’une victoire de l’Ukraine n’est pas possible, au regard notamment du déséquilibre des forces, mais également des pertes conséquentes que sont en train de subir quotidiennement les forces ukrainiennes, qu’il soit du moins fait de sorte que la Russie ne puisse pas elle non plus se déclarer victorieuse, qu’elle reste en état de guerre aussi longtemps que possible, c’est-à-dire jusqu’à l’épuisement. Nous l’Otan, lui a fait savoir le président américain à l’issue du sommet, soutiendrons l’Ukraine le temps qu’il faudra. Ce n’est pas exactement ce qui se dit en pareil cas. Nous l’Otan, continuerons de pourvoir à l’effort de guerre ukrainien, en termes d’armement, de finances et de sanctions économiques cependant, jusqu’à la victoire. Le mot manquant dans le propos de Biden, c’est, comme par hasard, le mot qui s’impose en l’espèce, celui de victoire. Quand on sait le volume quotidien des pertes ukrainiennes, se chiffrant désormais par centaines de morts et de blessés, on apprécie mieux la justesse de la saillie du président mexicain relative à l’espèce de marché passé entre Kiev et l’Otan : nous fournissons les armes, vous fournissez les cadavres. Au bout de quatre mois de guerre, Moscou a réalisé une partie de ses buts de guerre, peut-être même l’essentiel de ceux qu’elle se proposait au départ. Il ne tiendrait qu’à Kiev de faire arrêter le massacre. Il lui suffirait pour cela de reprendre langue avec Moscou. Le problème, c’est que ce n’est pas cela qui a été convenu à Madrid, mais de poursuivre la guerre aussi longtemps que possible, en somme de poursuivre le massacre. Certaines paroles de Volodymyr Zelensky sont suspectes, ainsi celles où il fixe avec précision le montant de l’aide financière dont a besoin son pays pour continuer de se battre à la fois pour lui-même et pour tout l’Occident. On se demande effectivement, à l’entendre parler en particulier sur le thème de l’argent, si au peuple ukrainien n’est pas dévolue la seule mission de fournir la chair à canon dans une guerre qui bien que se déroulant sur son territoire n’est pas entièrement la sienne. Autre leçon ressortant au bout de quatre mois de guerre : la Russie est si peu isolée qu’il n’est plus question du côté des Occidentaux eux-mêmes de la mettre au ban de la communauté internationale. Elle a pu se réunir ces derniers temps avec les ensembles politiques dont elle est membre le plus normalement du monde. Les sanctions économiques, pourtant les plus sévères jamais imposées à un pays, semblent la servir plutôt que lui nuire, au point d’ailleurs qu’il faille les revoir pour qu’elles soient à même de remplir leur objet : mettre à genoux son économie. Car maintenant qu’il s’avère que la guerre n’est pas gagnable militairement, il n’y a plus qu’elles qui soient de nature à lui infliger la défaite stratégique qu’elle mériterait.