La concentration d’une force russe d’invasion à la frontière avec l’Ukraine a livré vendredi dernier son secret : amener les Etats-Unis, et par la même occasion l’Otan, à purement et simplement mettre fin à l’expansion dans l’ancienne sphère d’influence soviétique, politique mise au point lors du sommet tenu par l’alliance militaire occidentale à Madrid en 1997. Le ministère russe des Affaires étrangères a rendu public ce jour-là un document dans lequel le Kremlin exige non seulement qu’aucune nouvelle intégration à l’Otan ne soit effectuée parmi les pays ayant appartenu au défunt bloc soviétique mais que ceux qui en sont déjà membres, comme la Hongrie, la Pologne, et la République Tchèque, en sortent. On ne connait pas encore la réponse officielle de Washington à de tels desideratas, mais ce qui est certain, c’est qu’il y en aura une, qui probablement ne tardera pas à se faire connaître. Le procédé mis en œuvre par la Russie, en direction des Etats-Unis principalement, pour obtenir des garanties relatives à sa sécurité, tant à l’est de l’Europe qu’en Asie centrale et dans les Balkans, n’est pas sans rappeler celui employé par l’Iran dans le cadre des négociations visant à restaurer l’accord de Vienne sur son programme nucléaire.
Dans les deux cas en effet, la partie en butte aux menaces des Occidentaux, que celles-ci revêtent la forme de sanctions économiques, d’éventuelles attaques militaires, ou d’encerclement graduel, passe à l’offensive en posant ses propres conditions, après s’être confinée longtemps dans la passivité. A vienne, il n’était question que d’obliger l’Iran à accepter que soient discutés en plus de son programme nucléaire, son programme balistique, et même sa politique régionale, deux sujets ne figurant pas dans l’accord de 2015. La donne change du tout au tout quand l’Iran distribue aux autres parties deux documents où il spécifie les conditions dans lesquelles une issue favorable est possible de son point de vue. Le septième round des négociations de Vienne, qui s’est arrêté vendredi, à nouveau sur demande iranienne, avait été consacré à la discussion de ses propositions, alors que jusque-là, c’étaient celles des autres qui étaient débattues. L’Iran qui jusque-là ne faisait que subir les pressions des porte-parole des Etats-Unis, que sont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, eux-mêmes n’étant pas admis à la table des négociations, a repris l’initiative en posant ses conditions, au lieu de devoir répondre ou résister à celles de ses adversaires. C’est exactement ce que vient de faire la Russie dans son propre bras-de-fer avec les Etats-Unis et l’Otan, en rendant publiques les conditions dans lesquelles elle ne lancerait pas son armée sur l’Ukraine. Dans le premier cas, c’est l’augmentation des quantités d’uranium enrichi qui permet de rétablir l’équilibre entre les parties prenantes, en renforçant le pouvoir de négociation de la plus faible ou la plus isolée. Dans le second, c’est la concentration des forces à la frontière ukrainienne qui a commencé à redonner l’avantage à la Russie dans le conflit l’opposant à une Otan avançant sur ses plates-bandes de tous côtés. Mais c’est avec la publication vendredi de son offre de dialogue, dont la portée dépasse de loin ses différends précis avec l’Ukraine, qu’elle dicte à son tour ses conditions. Les termes du débat s’en trouvent du même coup bouleversés.